La rencontre avec l’écrivaine Muriel Pic, autrice notamment d’En regardant le sang des bêtes, et Benjamin Thomas, chercheur en études cinématographiques à l’université de Strasbourg, propose un moment de réflexion sur nos représentations des animaux non-humains qui nous côtoient.
Depuis les années 1920, chez Jean Epstein entre autres, le cinéma a été pensé comme une puissance de décentrement du regard, et donc du sensible. Adressées à l'humain, les images du cinéma peuvent l'amener à éprouver d'autres temporalités (voir une plante se comporter comme un animal, par accélération ; voir la matière de l'océan approcher le solide, par ralentissement), et donc des brouillages étranges de ce que la raison lui indique pourtant comme des règnes ou des catégories strictement séparés.
Benjamin Thomas montre que depuis le début du 20e siècle jusqu'au cinéma le plus contemporain, des films ont toujours accueilli des poussées, des percées d’autres configurations du sensible qui nous préparaient à ajuster notre sensibilité et nos perceptions à d’autres, autres qu’humaines.
L’abjection du corps de l’animal mis à mort pour la consommation humaine est cependant aussi sous le regard de la caméra.
Dans En regardant le sang des bêtes, Muriel Pic évoque le film documentaire de Georges Franju, Le sang des bêtes (1949), sur le quotidien des abattoirs parisiens de l’après-guerre. Ce film montre de manière frontale et ingénue la mise à mort de chevaux, de bœufs, à un tel point que le public de l’époque s’enfuyait des projections. En 100 fragments, entre archives inédites relatives au tournage, récit autobiographique, réflexions sur notre rapport à l'abattage de masse et portraits d'écrivains en proie à leur condition d'animaux pensants, Muriel Pic sonde le cheminement de notre regard.