SELON E. J. HOBSBAWN, le court XXe siècle est l’âge des extrêmes — avec deux conflits mondiaux, les « criminalités de masse » des stalinisme, fascisme et nazisme, les génocides, Hiroshima et Nagasaki atomisés pour intimider l’U.R.S.S (6, 9 août 1945), la Guerre froide, les guerres coloniales, l’ex-Yougoslavie à feu et à sang. Après 1948, ajoutons les carnages au Proche-Orient qui culminent le 7 octobre 2023 en Israël puis à Gaza où, en 2025 – « au cœur des ruines », avec 15 000 enfants palestiniens tués sans les enfouis non retrouvés -, ce qui « reste défie les mots ».
L’âge extrême de la destruction accouche aussi d’instances de négociation universelles, dont la SDN (1919), puis l’ONU (1945), modèle en 1946 des Rencontres internationales de Genève. Leur mandat : mettre la guerre hors la loi et maintenir la paix, bien précaire de l’humanité.
En 2025, où réside cet idéal démocratique ? De l’Ukraine à Gaza, sous les frappes des présidents-autocrates V. Poutine et D. Trump, les normes du droit international « bâti pour conjurer la répétition des barbaries de la Seconde Guerre mondiale » vacillent, tandis qu’agonise la « diplomatie qui avait ses règles et ses faiblesses, mais qui tendait à pacifier les contentieux plutôt qu’à les exacerber » (J.-P. Filiu).
Comparer est complexe, l’Histoire repasse peu les mêmes plats. Une époque n’est pas une autre. Pullulent les responsabilités politiques ou économiques qui menèrent les nazis à raser la démocratie de Weimar, avant de mener la guerre totale en Europe, dit J. Chapoutot, invité des Rencontres internationales de Genève. Sommes-nous dans un nouveau « moment » Weimar ? Autocratie, illibéralisme, litiges béants, asthénie diplomatique et démocratique, politique du drone et du missile, budgets de réarmement : ces périls augurent-ils un nouveau monde en guerre ? Chimère que l’éthique de la « paix universelle » selon les Lumières ?
Mardi 23 septembre, Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, aborde le thème « La guerre de tous contre tous ? Civilisation et régression, XIXe-XXIe siècles»
« On ne peut se défendre d’une certaine humeur », écrivait Kant, quand « on regarde les faits et gestes des hommes sur la scène du monde ». Ces propos des années 1780 restent les nôtres, d’autant plus que la litanie des guerres et des massacres semble sans terme et que les plus puissants de nos contemporains ne sont pas précisément animés par le respect du droit, du vivant et de la dignité humaine.
Le constat d’une régression dans le processus de civilisation s’impose, du moins du côté des « élites », au spectacle de la violence brute, érigée en idéal et en norme, d’une extraction sans fin, qui puise dans les êtres et le monde jusqu’à l’épuisement, et d’une jouissance dans la dévastation qui laisse pantois. Il reste que la comparaison historique fournit tout de même de nombreux motifs d’espoir pour une humanité en quête de paix et d’intelligence, que la guerre contre la science, la démocratie et le vivant n’est pas une fatalité et qu’il reste possible de faire rimer histoire et espoir.
Entrée gratuite, sans réservation.