Lena-Lisa Wüstendörfer direction
Masato Suzuki clavecin
August Walter
Ouverture de concert en ré majeur, op. 16
Marguerite Roesgen-Champion
Concerto pour clavecin et orchestre n° 1
Johannes Brahms
Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 73
Lorsqu’au printemps 1846 on demande à August Walter s’il ne veut pas poser sa candidature au poste de directeur musical vacant à Bâle, il répond: «À vrai dire, je n’ai guère envie de m’enterrer dans une ville suisse où […] le soir on rentre les vaches au bercail!» Cette déclaration hardie ne préjugea pas de la suite car peu après il accepte le poste en dépit de son aversion de départ. Et il semble qu’il se plut en Suisse bien plus que ses premières impressions ne le laissent penser puisqu’il passa les cinquante dernières années de sa vie principalement à Bâle. Là, il joua un rôle prépondérant dans la vie musicale en plein essor et ne ménagea pas ses efforts pour faire jouer les œuvres de ses confrères suisses Hans Huber et Friedrich Hegar. Dans ses programmes de concert figurent aussi, on ne s’en étonnera pas, nombre de ses propres compositions, qu’il n’avait apparemment pas peur de confronter à celles des grands noms de l’histoire de la musique: souvent, en effet, son patronyme côtoie ceux de Bach, Beethoven ou Mozart. Il faisait aussi régulièrement place à ses contemporains, par exemple Schumann ou Wagner. Son engagement en faveur de la musique classique et romantique suisse, à laquelle il resta fidèle jusqu’à la fin de sa vie, le lie au Swiss Orchestra dont le neuvième programme, «Unerhört! Schweizer Romantik» (Inouï! Romantisme suisse»), commence par l’Ouverture de concert en ré majeur de Walter.
Cette entrée en matière on ne peut plus romantique est suivie du Concerto pour clavecin de la Genevoise Marguerite Roesgen-Champion, une compositrice d’exception. Mis à part le fait qu’elle réussit à s’imposer dans un domaine encore largement dominé par les hommes au 20e siècle, elle fit partie des pionnières dans la redécouverte du baroque finissant et du clavecin comme instrument soliste. Elle publia plus de trois cents œuvres, donna des cours de piano et de clavecin à Genève et à Paris, et poursuivit une carrière de virtuose du clavier dans toute l’Europe. Si, à Genève, elle s’était formée avec notamment Émile Jaques-Dalcroze et Ernest Bloch, son langage musical fut influencé en particulier par les impressionnistes français, en premier lieu Debussy et Ravel. De son talent d’interprète témoignent de nombreux enregistrements – d’œuvres de sa plume et d’autres compositeurs – qu’elle fit pour la Radio romande. En dehors de la musique, elle s’intéressait principalement aux diverses religions et à leurs points communs. Elle fit de nombreux voyages pour visiter les principaux lieux saints du Proche et du Moyen-Orient et publia dans les années 1960 deux livres sur les religions monothéistes, que l’on trouve encore aujourd’hui dans maintes bibliothèques théologiques. La partie soliste de son Concerto pour clavecin est confiée, dans la neuvième tournée du Swiss Orchestra, au talentueux Masato Suzuki, lui aussi un maître du clavecin. Né en 1981 à La Haye, aux Pays-Bas, il fit l’apprentissage de l’orgue, du clavecin, de la direction d’orchestre et de la composition à Tokyo. Il a créé plusieurs ensembles instrumentaux et organisations de concert et il est le chef titulaire du Bach Collegium Japan fondé en 1990 par son père Masaaki Suzuki, organiste et claveciniste.
Le programme s’achève sur la Deuxième Symphonie de Johannes Brahms, d’une légèreté et d’un avenant atypiques dans l’œuvre du compositeur allemand qui l’écrivit en quelques mois seulement, à la fin de l’été 1877, sur les rives du Wörthersee, en Carinthie, et à Lichtenthal, près de Baden-Baden. Après la genèse extrêmement fastidieuse de sa Première Symphonie, qui s’étala sur quatorze années, la composition de sa deuxième contribution au genre a dû lui sembler comme une cure de bienfaisance. La musique s’en ressent, elle regorge en effet de joie de vivre, de chaleur, d’amour de la nature – une profusion qui n’a vraiment rien d’habituel chez Brahms, lequel ne cessa pourtant de qualifier son œuvre de nostalgique et pesante. Le 22 novembre 1877, il écrivait par exemple à son éditeur Simrock: «Ma nouvelle symphonie est si mélancolique que ça en est insupportable. Je n’ai encore jamais écrit quelque chose d’aussi triste, d’aussi mou: il faut que la partition paraisse avec une bordure de deuil.» Plaisantait-il ou voulait-il s’excuser de ce qu’il avait produit? Difficile à dire. Vu l’énorme pression qui avait pesé sur ses épaules avec la Première Symphonie, on ne peut lui en vouloir de ménager ainsi ses arrières. Quoi qu’il en soit, le public et la presse accueillirent l’œuvre presque unanimement de manière positive. On en a un exemple avec le compte rendu de l’influent critique et philosophe de la musique Eduard Hanslick: «La Première Symphonie de Brahms donnée en concert il y a un an était une œuvre pour de sérieux connaisseurs capables de suivre de manière ininterrompue les ramifications de ses veines et en mesure de les écouter à la loupe, pour ainsi dire. La Deuxième Symphonie brille comme le soleil, dispensant sa chaleur aux connaisseurs comme aux néophytes, elle appartient à tous ceux avides de bonne musique.»